Décidément, je ne comprends pas les chroniqueurs gastronomiques qui travaillent comme des stakhanovistes pour goûter les meilleurs plats des meilleures tables de France et d’ailleurs ! Se pourrait-il que cette profession ne soit pas le métier de rêve que l’on s’imagine ? Les souvenirs gastriques de Gilles Pudlowski[1] et de François Simon[2] ont à ce titre de quoi laisser un peu perplexe : s’il est compréhensible que l’on se lasse de tout et même des produits les plus rares quand on les mange contraint et forcé, n’est-il pas bien dommage qu’un repas ne soit pas une fête, en particulier quand il s’agit de découvrir une nouvelle adresse ? Selon moi, l’envie est l’aiguillon le plus objectif pour profiter d’un bon repas.
Symphonie gourmande
Et c’est dans cet esprit que je suis allé dîner en tête-à-tête au Mandalaray[3], bar-restaurant « tendance » à deux pas des Champs-Élysées. Le cadre fou de cet endroit d’inspiration asiatique permet toutes les alliances, à commencer par de la world food, l’occasion de faire des associations insolites entre des plats asiatiques et des vins français. Curieux de goûter au contraste d’une cuisine contemporaine mariée à des airs d’opéra, j’ai réservé ma table un lundi soir pour assister en direct à un concert de musique classique et ainsi pu déguster sashimis et autres makis au son des pizzicati et des arias de l’orchestre. Après une telle expérience, vous ne pourrez plus écouter Le Barbier de Séville de Rossini sans déguster un tournedos.
La musique classique étant devenue mon nouveau réflexe de Pavlov, j’achetai cent soixante-dix Cds de Mozart[4] et m’envolai pour Salzbourg afin de découvrir les merveilles culinaires de sa ville natale. Je m’y régalai d’oie rôtie, de liqueur de chocolat et de boules de chocolat à l’effigie du compositeur.
Mais comme on apprécie toujours mieux un plat quand on en connaît l’histoire, je décidai d’interroger un spécialiste et pour cela me rendis en Alsace.
Un cuisinier littéraire
Aux commandes depuis trente-cinq ans d’un restaurant vieux de deux siècles[5], Émile Yung est un chef à part. Quand on lui parle d’inspiration, il évoque avec ferveur les provinces françaises, l’Asie et l’Afrique du Nord, mais aussi René Girard, Jean Guitton et Gaston Bachelard. Un œil sur sa brigade qu’il interpelle de temps en temps, un oreille attentive à mon égard, il déclame des vers du poète. Mais quoi d’étonnant de la part d’un chef qui propose des menus littéraires depuis bientôt dix ans, le dernier étant le menu Jules Verne ? Concernant l’oie, il juge la bête ingrate, mais reconnaît ses qualités gustatives. « Il faut la cuisiner comme elle est et s’effacer derrière la matière ».Il la propose rôtie ou en pot-au-feu en janvier et en février. Pour les impatients qui voudraient la déguster ce hiver, le chef conseille de choisir un oison de 3 kg et de le rôtir avec ½ l d’eau dans la plaque du four pendant 1 h ½ à 2 heures et de le servir avec du chou rouge, des navets ou de la choucroute : vous êtes sûrs de faire huit heureux. Quant au vin, rouge ou blanc selon la garniture, il ne peut venir que d’Alsace.
Je quittai le Crocodile à regret et laissai M. Yung à sa nouvelle carte préparer un lièvre à la royale en songeant que s’il est peut-être parfois pénible de devoir se gaver de foie gras, rencontrer des hommes d’exception fait quand même de chroniqueur gastronomique un bien beau métier.
Une dernière adresse
Une promenade improvisée dans le VIe arrondissement de Paris m’a également réservé une très agréable surprise. Au cœur de Saint-Germain-des-Prés, ce quartier mythique et un brin passéiste, Armani Caffè propose depuis la rentrée un apéritif à l’italienne[6]. Rien de tel qu’un peu de risotto, de pâtes sautées et de légumes frits pour accompagner un verre de vin (bianco, rosato ou rosso) ou un cocktail concocté par l’imaginatif Roberto. La charcuterie italienne passée à l’instant par la trancheuse (fabriquée pour Mussolini en 1934 et qui trône au milieu de la pièce) est exceptionnelle ! Mais tout cela n’est rien à côté de l’accueil chaleureux réservé par Massimo Mori, jamais à court d’anecdotes savoureuses, qui cultive l’humour et la légèreté, et le sourire de sa fille, la capiteuse Céline avec laquelle il a développé ce concept.
Impact Médecine, 20 au 26 octobre 2005.
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[1] Comment être critique gastronomique et garder la ligne, éditions du Rocher.
[2] N’est pas gourmand qui veut, Robert Laffont.
[3] 32-34, rue Marbeuf, Paris 8e, www.mandalaray.com. Env. 60,00 €.
[4] Mozart : L’Intégrale, Coffret de 170 Cds en 9 volumes, Brilliant classics/ Abeille Musique Distribution.
[5] Au Crocodile, 10, rue de L’Outre France, 67060 Strasbourg, tel : 03.88.32.13.02 ; http://www.au-crocodile.com/
[6] 149, boulevard Saint-Germain, de 17h00 à 20h00 du lundi au samedi.
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