Authenticité, tradition, terroir,… autant de valeurs propres à éveiller les papilles des gastronomes, autant de mots abusivement récupérés… J’ai si souvent été déçu par les grands classiques des brasseries que j’avais depuis longtemps renoncé aux plaisirs d’une bonne blanquette ou d’un bœuf bourguignon digne de ce nom.
Et voici qu’Alain Ducasse décide de se pencher sur ce patrimoine ancestral de nos régions ! Résultat : une véritable encyclopédie qui redonne à cette cuisine un peu canaille (ni légère, ni raffinée) toute sa noblesse, passant en revue le vaste répertoire des bistrots de tradition, revisité d’une touche personnelle. Faut-il le préciser ? ce livre est un supplice, mais aussi l’occasion de vous essayer aux grands classiques d’antan, et de vous combler de flaveurs esculentes[1].
Le mérite de Ducasse est d’avoir su reproduire les gestes et l’exigence de la grande cuisine à la cuisine de bistrot. Et c’est précisément ce que l’on retrouve dans ses deux adresses parisiennes.
Aux Lyonnais, le jeune chef Sébastien Guénard joue la carte bistrot terroir en hommage à Alain Chapel. La cuisine lyonnaise est ici réinterprétée, c’est-à-dire, selon les propres mots du chef, « allégée. On ne change pas les classiques, mais avec moins de beurre, moins de farine, on travaille sur la forme, la présentation. » Un exemple ? « Les quenelles, traditionnellement à base de farine ou de pain trempé dans du lait, sont soufflées au four dans une sauce Nantua. » Ce qu’on appelle ici pudiquement « la planche de charcuterie » est tout simplement indécente : saucisson de Lyon, saucisson de campagne, saucisson de Jésus, rosette de Lyon, gratons, pâté de tête et langue de cochon, le tout accompagné d’une cocotte de pommes de terre et cervelas sauce gribiche. Voilà bien le repère des hédonistes en quête d’une cuisine copieuse et conviviale avec des plats servis en cocotte[2], s’il vous plaît !
De son côté, David Rathgeber, chef de Benoit, s’adonne à une cuisine bourgeoise très simple, très épurée mais aussi plus raffinée et privilégie un service à l’assiette. Le charme réside également dans le lieu et le fait que toutes les entrées sont dressées en salle devant les clients. Ne ratez pas la langue de veau Lucullus, cuite au bouillon, refroidie, tranchée comme un mille-feuille (une mousse de foie gras faisant office de crème pâtissière), panée et servie avec une crème moutardée aigrelette et une salade de lentilles. Le chef, conscient que le secret de la réussite réside en grande partie dans la régularité, applique soigneusement les méthodes culinaires d’Alain Ducasse : les cuissons des produits se font par concentration et glaçage pour renforcer naturellement les sucs et les goûts.
Seulement, quand vous avez goûté à la cuisine de David Rathgeber, vous n’avez guère parcouru la moitié du chemin, avancez encore un peu et vous découvrirez toute une dimension qui vous avait peut-être échappé. Regoûtez alors ses plats, ils sont encore meilleurs. Entre-temps, vous l’avez entendu parler de cette passion qui l’anime, vous avez intégré son parcours de cuisinier, ses sept ans au sein des brigades de Ducasse, ses recettes pour les 0-4 ans[3], son approche personnelle de la cuisine… Ne croyez pas votre jugement faussé par ces informations ; la vérité, c’est que vous retrouvez tout cela dans sa cuisine et vous vous émerveillez en constatant à quel point ce chef est un digne héritier de la grande tradition culinaire amorcée par Taillevent. Comment, du reste, pourrait-il en être autrement de la part d’un cuisinier qui se donne pour objectif de « faire rêver les gens » ?
Aux Lyonnais, 32 rue Saint-Marc 75002 Paris Tél.: 01 42 96 65 04 (environ 60,00 €).
Benoit, 20 rue Saint-Martin, 75004 Paris 01 42 72 25 76 (environ 85,00 €).
[1] Grand Livre de Cuisine d’Alain Ducasse : Bistrots, Brasseries et Restaurants de Tradition, Éditions Alain Ducasse, version de poche, 50,00 €.
[2] Cela a donné un livre, éloge vivant de la cuisine en cocotte : chou farci, rizotto, pigeonneaux, joues de porcelets, cuisses de grenouille, barbue, anguille, foie gras… tout y passe ! Le Creuset, Le Livre de cuisine, David Rathgeber, Les Éditions Culinaires, 16,00 €.
[3] Babycook book, Les Éditions Culinaires, 16,00 €.
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