Pour répondre à l'interrogation de Truscha (dont le blog Saveur Passion vaut le détour et pas seulement pour son nom évocateur), réponse qui, je l'augure, va rassurer les uns et décevoir les autres, je n'ai (encore !) jamais mangé d'ortolans. Ce n'est pas faute d'en avoir eu le désir aiguisé à la lecture du chapitre consacré à ses étonnants volatilles par Alain Ducasse dans son Dictionnaire amoureux de la cuisine dont il qualifie la dégustation "de magique [et] d'unique au monde"...
Je ne saurais que trop vous conseiller la lecture de ce dictionnaire dont chaque entrée est un vrai délice. Il fait partie de ces livres que l'on feuillette au hasard des mots, dans le plus joyeux désordre, que l'on pose, oublie quelque temps et reprend toujours avec un même plaisir. Je vous laisse méditer sur ces quelques lignes que je relis régulèrement :
"Au même titre que la truffe noire, l'ortolan a suscité les déclarations les plus folles, les enthousiasmes les plus débordants, les adjectifs les plus superlatifs et les délires les plus démesurés. (...) l'ortolan n'est pas un mythe. c'est un vrai trésor. La rareté de l'ortolan a fait de cet oiseau un synomyme de mets coûteux et rafiné. (...) sa cuisson doit être millimétrée, sous peine de voir une chair divinement souple se transformer en une bouchée fade et sèche. (...) il faut au moins une fois dans sa vie vouloir paye rle prix de cette folie princière (...) pouvoir ranger parmi ses souvenirs gourmands la mémoire de cette dégustation où l'on ne fait que mâcher une boule de graisse suave et brûlante jusqu'à épuisement total de tous ses sucs de cuisson est une expérience que l'on peut difficilement oublier. (...)"
Alain Ducasse, Dictionnaire amoureux de la cuisine, Plon, 24,00 €.
Bonjour:
Pour un amateur, voila un extrait de "Touch'pas mon ortolan" de Alain Darroze(Atlantica)
La dégustation de l'ortolan (mon ultime fantasme gourmand!):
"...Au fil des siècles, l'ortolan s'est dégusté autant sur les tables les plus humbles que sur les plus prestigieuses. La Fontaine y fait référence dans Le rat des villes et le rat des champs, « un repas à relief d'ortolans », on le retrouve dans le dîner des tsars à Paris ou lors du dernier Noël du xvIIIe siècle au Savoy Hôtel de Londres. On sait que François Mitterrand s'adonnait de temps à autre à ce plaisir papillaire, mais pas un hôte de l'Élysée, avant lui, n'a omis d'en servir à des invités de prestige.
Point n'est besoin d'être président de la République pour avoir droit à ce mets des dieux. Dans les Landes, le chasseur d'ortolan fait honneur aux gens qu'il invite à sa table en leur faisant ce présent.
Ce rite ne se déroule pas lors de bacchanales, bien au contraire, c'est de préférence lors d'un repas sage, entre amis sûrs, où de bons vins fins sont de rigueur pour accompagner l'agape dont l'apothéose est la dégustation de l'ortolan. Le convive reste humble, se recueille devant l'oiseau et se laisse mener jusqu'à l'orgasme papillaire mérité, encanaillé sous une grande serviette...
Sous celle-ci, l'ami hume ce fumet d'exception s'échappant de l'oiseau grésillant dans son plat, le corps offert pour le plaisir. Il le prend et le met, entier, brûlant dans sa bouche. Il grimace. C'est chaud ! Laissant sortir la tête de l'ortolan afin de le maintenir fermement et délicatement entre les dents, il laisse fondre ce corps dodu à souhait grâce à de lentes sucions. Un peu de jus, de graisse coule au long des lèvres, les saveurs se succèdent au rythme des va-et-vient, le gras du croupion délicatement savouré, les cuisses, puis les entrailles ; une légère amertume quand arrive le foie vient perturber la fête, compensée toutefois par la suave douceur des filets opulents de la poitrine caressant le palais. D'un savant coup de langue, le gésier est extrait. Le reste, mis en boule, imbibé de salive, laisse exploser les sucs en bouche, menant au paroxysme sublime, les papilles béates. La tête quant à elle est souvent délaissée. À la table de mon grand-père, lors de fêtes familiales, nous dégustions évidemment des ortolans, un par personne, plus aurait été une hérésie...."
Rédigé par : Calluaud Yves | 14 novembre 2007 à 11:32
A moitié déçue mais la déception est largement compensée par cette lecture gourmande !
Rédigé par : Tiuscha | 19 mars 2007 à 13:37